Sélectionner une page

Pré sommet de Clariden, 3191m – Ascension le Samedi 21 Septembre 2019

Il est 3h du matin et c’est samedi. Je sens quelque chose vibrer autour de mon poignet: ma montre me fait savoir qu’il est temps de se lever. Bizarrement je ne me sens pas fatiguée et je ne ressens pas l’envie de rester sous les couvertures pour quelques minutes de plus… Je veux dire, il est 3h du matin!!! Mais ça fait longtemps que j’attends ce moment. Le jour où on irait sur un glacier juste tous les deux, sans guide, pour se frotter aux réalités de l’alpinisme. Nous avons choisi un objectif pour commencer en douceur et nous attendions les bonnes conditions. Et maintenant, après notre weekend d’initiation à Chamonix, après avoir lu et relu le guide de progression sur glacier et après avoir répété des dizaines de fois le sauvetage en crevasse, en utilisant le canapé comme ancrage, maintenant je me sens prête. Donc oui, il est 3h du matin mais non, je ne suis pas fatiguée. J’ai hâte. Et je suis prête.

Je saute dans les habits que j’ai soigneusement arrangé la veille sur le canapé du salon. Debout, dans la cuisine, nous prenons un petit déjeuner rapide et épaulons nos sacs à dos, alourdis par le matériel d’alpinisme. Une demi-heure après que l’on se soit réveillés, nous sommes dans la voiture, en direction du Klausenpass, un col de montagne à 1 948m d’altitude, qui connecte les cantons de Glarus et Uri. Il fait toujours nuit noire quand nous arrivons dans le parking vers 5h du matin mais nous ne sommes pas le seul groupe qui se prépare et quitte sa voiture à ce moment-là. Armés de lampes frontales et de gants, nous commençons l’ascension de la montagne. Même si nous sommes déjà venus il y a quelques mois, en randonnée de « repérage », il est difficile de suivre le sentier à cause de l’obscurité. Nous perdons le sentier et naviguons entre des arbustes pendant plusieurs mètres avant de retrouver le chemin.

Nevin devant le lever du soleil. © 2019, Justine Le Cam.

Au fur et à mesure que nous gravissons la montagne, le noir fait peu à peu place aux premières lueurs timides du jour. Après un petit passage sécurisé par des chaînes, où il faut utiliser les mains, nous arrivons sur un plateau rocheux. Alors que je m’éloigne du sentier, appareil photo en main, espérant capturer le lever du soleil, je suis stoppée nette par la vue. J’appelle Nevin. Caché du sentier par un gros bloc rocheux, la vue d’ici est impressionnante: un massif neigeux lointain est baigné d’une lumière rose-orangée par les premiers rayons du soleil. Je prends un instant pour m’imprégner du moment et je commence à réaliser que c’est dans ces moments-là que réside l’attraction que la montagne a sur moi: même si je ne vais pas plus loin aujourd’hui, ça en valait la peine juste pour ça. Ça valait la peine de se réveiller à 3h du matin et ça valait la peine d’essayer de trouver le chemin dans le noir et le froid. Ce moment exact. C’est la raison pour laquelle tu fais ça.

Lever de soleil sur les Alpes uranaises. © 2019, Justine Le Cam.
Lever de soleil sur les Alpes suisses. © 2019, Justine Le Cam.

Nous prenons quelques photos, mais nous ne nous éternisons pas. Nous ne voulons pas atteindre le glacier trop tard. Dès que le soleil est levé, la neige se réchauffe rapidement et commence à fondre, affaiblissant les ponts de neige qui recouvrent les crevasses. Et même si nous nous sommes entrainés à se tirer l’un l’autre d’une crevasse, nous ne souhaitons pas trop contempler ce scénario. Le reste de l’ascension jusqu’au glacier semble durer une éternité. Nous n’avons pas l’habitude de porter beaucoup plus que ce dont nous avons besoin pour une randonnée d’une journée et, nous sommes ralentis par nos lourds sacs à dos. Nevin a une corde de 50m sur son sac, les baudriers et le matériel de sauvetage sont dans mon sac. En plus de ce que nous avons l’habitude de porter (eau, vêtements chauds, snacks), nous avons chacun nos crampons, un piolet et un casque. Durant la dernière demi-heure avant d’atteindre le glacier, j’ai le cœur au bord des lèvres. J’essaye de manger une barre énergétique, mais je n’arrive qu’à en avaler la moitié. Je suis nerveuse. Durant l’ascension nous avons entrevu le glacier, appelé Iswändli (ce qui signifie littéralement « mur de glace »), qui avait l’air plutôt raide et verglacé.

Au lever du soleil. © 2019, Nevin McCallum.
Nevin s'équippant pour le glacier. © 2019, Justine Le Cam.

Dès que nous atteignons le glacier, je commence à me détendre. La partie que nous devons grimper n’a pas l’air si raide, ni même si glacé. Au pied du glacier, nous nous équipons: d’abord le baudrier, auquel nous clipsons le matériel nécessaire en cas de sauvetage en crevasse (et un peu plus que ce qui est nécessaire, mais mieux vaut être préparé), puis les crampons et finalement, nous nous encordons. Un bâton de randonnée dans une main et mon piolet dans l’autre, je suis Nevin qui monte la pente enneigée, en prenant soin de garder la tension nécessaire dans la corde entre nous deux. J’ai une sensation de brûlure dans les mollets à cause de la raideur de la pente, mais c’est la dernière chose à laquelle je pense. Le temps est magnifique. Alors que nous traversons le glacier, la vue sur la massif arrière commence à se révéler. Des champs de glace entourés de pics rocheux à perte de vue. Je sens soudainement monter en moi un irrésistible sentiment de bonheur. Je suis juste là où j’ai envie d’être. A mille lieues de toutes préoccupations journalières. Mais d’une certaine façon, cela semble réel. Dehors, dans la neige, réchauffée par le soleil et entourés de sommets splendides.

Nous atteignons l’autre côté du glacier and comme nous nous trouvons à nouveau sur du caillou, nous échangeons les crampons pour le casque. Il est déjà assez tard et nous décidons que, où que nous soyons à ce moment-là, nous ferons demi-tour à 11h. Nous jetons un coup d’œil au sommet de Clariden, qui était notre but pour la journée, et nous tombons rapidement d’accord sur le fait qu’il est trop tard pour le tenter. De plus, il y a déjà beaucoup de grimpeurs et je me sens un peu nerveuse de monter un sentier exposé, sécurisé par des chaînes, entourée par trop de personnes. J’ai peur d’avoir l’impression que je doive me précipiter et je n’ai pas assez confiance dans mes habilités d’escalade et mon équilibre pour être à l’aise si je dois aller trop vite. Pour atteindre Clariden par la route que nous avons empruntée, il faut d’abord grimper un sommet secondaire, culminant à 3 191m, et nous décidons que cet objectif sera suffisant pour notre premier tentative d’alpinisme sans guide. Le sentier est une pente raide d’éboulis et, alors que nous grimpons, je suis déjà anxieuse à l’idée de redescendre ce terrain glissant. Nous partageons ce sommet secondaire avec quelques autres groupes. Le ciel est complètement dégagé et nous contemplons la vue. Au nord nous pouvons voir les Préalpes suisses, à l’ouest les sommets de Clariden et Tödi et au sud-est un glacier immense, le Hüfifirn, entourés de plusieurs sommets.

Vue du pré sommet de Clariden. © 2019, Justine Le Cam.

Après quelques photos au sommet, nous redescendons le sentier d’éboulis et l’arête rocheuse pour retourner sur le glacier. Etant plus légère que Nevin, je passe devant pour redescendre le glacier. J’entrevois quelques crevasses et je suis un peu nerveuse lorsque la pente devient plus raide, mais je savoure l’expérience et j’ai le sentiment que je pourrais rester sur le glacier pendant des heures. Lorsque nous atteignons la base du glacier, le soleil est haut dans le ciel et nous enlevons les couches superflues pour la dernière partie de la descente. Le reste est une randonnée dans les cailloux et les pâturages pour redescendre jusqu’au parking, mais la fatigue commence à se faire sentir et avec nos sacs à dos à nouveau alourdis, la descente semble aussi longue et pénible que la montée. Pendant le dernier kilomètre, mes pieds commencent à me faire mal dès que je fais un pas et je suis soulagée quand nous atteignons enfin la voiture. Mais il n’y a rien de tel que le sentiment de fatigue après un jour passé dans les montagnes. C’est tellement gratifiant. Pour fêter notre premier sommet d’alpinisme ensemble, nous allons dîner dans notre pizzeria préférée de Zürich, avant de nous écrouler dans notre lit pour une longue nuit de sommeil. Pas de réveil à 3h du matin demain.

Plus de photos de cette aventure
Commentaires

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *