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« Tip toe if you must, but take the step. » Naeem Callaway.
(« Marche sur la pointe des pieds s’il le faut, mais fais un pas. »)
Randonnée à ski sur les pentes du Mutteristock – Samedi 23 Mars 2019

5h du matin: J’entends le réveil. Je suis perdue. Mon cerveau ne semble pas intégrer ce qui se passe. Il fait toujours noir dehors, ce qui n’est normalement plus le cas quand mon réveil sonne à cette période de l’année. C’est le plus tôt que Nevin ait réussi à me réveiller pour aller en montagne. Pour le moment… Ca me prend bien 15 minutes de m’extirper des couvertures et, quand j’arrive enfin dans la cuisine, Nevin a déjà allumé la bouilloire pour le café et est assis à la table du petit déjeuner avec son bol de muesli. Ce qui est assez incroyable étant donné qu’il sort rarement du lit avant moi pendant la semaine et est un adepte du snooze. Certaines activités ont l’air de le motiver plus que d’autres.

7h: Nous sommes au départ de la randonnée et, avec les peaux sous nos skis, nous commençons à suivre la trace. C’est une très belle journée. Il y a quelques autres voitures garées au départ et d’autres personnes qui partent pour une ballade à ski, mais il n’y a pas foule. Tant mieux. Le début de la randonnée est le long d’une petite route forestière. C’est paisible. Ça ne m’arrive pas souvent de savourer des moments dehors à cette heure-ci. Je m’arrête et prend quelques photos, alors que Nevin continuer d’avancer devant moi. Je profite et m’imprègne de la tranquillité du moment.

Nevin dans la montée. © 2019, Justine Le Cam.

9h: Le terrain commence à devenir de plus en plus raide. Comme souvent dans ces moments, mon vertige me rattrape et mon cerveau se met à paniquer. Je ne suis plus concentrée sur ma technique. Ce que vous entendrez si vous vous mettez au ski de randonnée, c’est qu’il faut faire glisser les skis en avant, et non les soulever à chaque pas. Et surtout, qu’il faut mettre son poids sur ses talons quand le terrain est plus incliné, pour augmenter la surface de contact entre les peaux et la neige et ainsi la friction entre les deux pour éviter de glisser. Mais bon, je commence à avoir peur de la pente derrière moi, donc je commence à soulever mes skis plutôt que de les faire glisser et je n’arrive pas à faire confiance au fait que je doive mettre tout mon poids sur mes talons avant de faire le pas suivant. Je me met à glisser en arrière, et me laisse tomber, tête en avant. Ce qui accentue mon stress. Et ma frustration. Nevin s’arrête et sort les fruits secs et autres snacks. Il sait que j’ai besoin d’une pause chocolat. Il suggère aussi que je mette mes crampons sous mes skis, pour diminuer le glissement. En effet, ça change tout. Ca, et aussi la calle pour le talon, qui permet de garder le pied à l’horizontal lorsque le terrain est plus raide. Le reste de l’ascension est bien plus agréable et je panique moins.

Sur les pentes du Mutteristock. © 2019, Justine Le Cam.
La vue sur le lac Wägitalersee. © 2019, Justine Le Cam.
Sur le chemin. © 2019, Nevin McCallum.

10h: Je m’arrête pour regarder autour de moi: le ciel est d’un bleu intense, aucun nuage n’est visible à l’horizon, j’entends les oiseaux qui chantent et la vue sur le lac Wägitalersee plus bas est incroyable. Je me souviens que c’est officiellement le printemps depuis 2 jours maintenant. Je me sens soudainement envahi par un sentiment de bonheur total, sentiment qui commence à devenir familier et qui m’assailli toujours après un moment de montagnes russes émotionnelles dans les montagnes.

11h: Nous ne sommes pas encore en haut de l’arête. Je suis assez lente. Nevin est préoccupé par la neige qui se réchauffe et par les avalanches de neige humide qui pourraient en résulter. Il est temps de s’arrêter et de redescendre. Je suis un peu déçue par mon rythme, qui nous empêche d’atteindre l’arrête aujourd’hui, mais je me rappelle que nous avons grimpé près de 1000m de dénivelé aujourd’hui et que c’est ma première saison de ski de rando. Mes jambes sont soulagées de redescendre. Ce qu’elles ne savent pas encore, c’est que la descente ne va pas être si simple non plus.

La transition. © 2019, Justine Le Cam.
Virages croutés mérités. © 2019, Nevin McCallum.

11h45: Après avoir enlevé les peaux et profité du soleil printanier, nous nous lançons dans la descente. Je fais 2 virages et je tombe. La neige est recouverte d’une fine croute, mes skis « accrochent » et ne réagissent pas comme je m’y attends. Mais le pire n’est pas de tomber, c’est de se relever. Le terrain est presque plat et je galère à me remettre debout avec mes jambes fatiguées par la montée et le poids des skis. Nevin est un peu plus loin devant. Il ne comprend pas. Pour quelqu’un qui a grandi avec de la neige au sol pendant 4 à 5 mois de l’année et qui ski depuis ses 8 ans, c’est difficile de comprendre ce genre de petites difficultés. Mais il persévère à essayer de m’expliquer, enfin plutôt à mimer car il est déjà quelques mètres plus bas, comment je devrais placer mon corps au-dessus de mes jambes. Je parviens enfin me relever. Pour retomber quelques virages plus tard. Cette fois le terrain est un peu plus raide et je peux juste pousser contre la pente pour me relever. Mais la frustration grandit. Heureusement, après quelques lents mètres sur la neige croutée, nous arrivons finalement à la neige de printemps, qui est bien plus agréable à skier. Je prends mon temps sur une section un peu plus raide, puis nous sommes de retour rapidement à la voiture.

Je suis fatiguée physiquement (enfin mes jambes le sont), mais je suis aussi épuisée mentalement. Il est seulement midi et je suis déjà passée par de nombreuses phases émotionnelles aujourd’hui. La peur et la frustration, mais aussi la joie et l’apaisement. Il fait très très beau et nous nous arrêtons pour un déjeuner germanique (traduction bières et saucisses) sur la terrasse d’un petit restaurant au bord du lac Wägitalersee pour célébrer. Je me sens accomplie et sereine. Alors que nous nous baladons autour du lac avant de rentrer à la maison, nous admirons les montagnes tout autour, conspirant déjà pour la prochaine aventure.

© 2019, Justine Le Cam.