Deux jours de trekking dans le massif du Saint-Gothard – 5 et 6 Septembre 2020
Dès que la voiture commence à s’élèver dans les lacets menant à Andermatt, mon cœur se met à battre un peu plus vite à la vue des sommets dentelés et des rivières cristallines. Après 2 mois passés loin des montagnes suisses, ce moment s’apparente à un retour à la maison. Notre plan pour le weekend est une boucle de deux jours autour du Pizzo Centrale, un sommet dans la région du Saint-Gothard. Ce samedi matin, le col du Saint-Gothard est ensoleillé et beaucoup de monde se presse autour de son lac et de ses restaurants. Alors que nous y laissons la voiture, nous avons déjà repéré le petit stand de saucisse auquel nous prévoyons de nous arrêter le lendemain avant de reprendre la route. A ce moment précis, nous n’avons aucune idée du contraste qui règnera sur le col le lendemain soir lorsque nous retrouverons la voiture (un indice: ce ne sera plus du tout ensoleillé ou bondé).
Mon sac à dos, rempli de matériel de camping et de nourriture, est lourd. Mais je suis ravie lorsque je le hisse sur mon dos et attache ses lanières autour de mes hanches: comme retrouver un vieil ami que l’on n’a pas vu depuis longtemps. Et puis c’est vraiment satisfaisant de porter sur mon dos tout ce dont j’ai besoin pour les 2 prochains jours. Ce premier jour, je suis remplie de bonheur, heureuse d’être de retour dans les montagnes et reconnaissante de me dégourdir les jambes sous le soleil. Après avoir atteint le Lago della Sella, nous prenons un chemin de randonnée assez raide menant à un petit col. Je suis émerveillée à la vue des formations rocheuses dentelées. A partir du moment où nous redescendons dans la vallée suivante, nous ne verrons personne pour les prochaines 24h. Seulement de nombreux moutons, nous rappelant que même les endroits qui semblent reculés ne sont jamais complètement sauvages en Suisse.
L’objectif de ce premier jour est un petit lac alpin que nous avons repéré sur la carte. Nous prévoyons de planter la tente tout prêt, et évitons ainsi de devoir porter de l’eau supplémentaire pour la soirée. L’endroit est plutôt rocailleux et nous devons chercher un peu pour trouver un endroit bien plat pour établir le camp. Mais après quelques minutes, la tente est montée et l’eau pour le dîner est traitée. Après avoir campé plusieurs fois cet été, en Suisse et en Norvège, nous commençons à être efficaces et à avoir nos habitudes. Même à cette altitude et dans un terrain aussi rocailleux, il y a encore des moutons et nous les regardons, amusés et impressionnés, se faufiler dans les endroits les plus précaires. Dans la soirée, le temps tourne un peu et le ciel bleu est remplacé par des nuages et quelques gouttes de pluie. Après un festin à base de saucisson, fromage, riz précuit et nourriture lyophilisée, nous nous glissons rapidement dans nos sacs de couchage.
La nuit est un peu perturbée: nous essayons tous les deux de trouver un endroit confortable malgré les quelques cailloux sur le sol irrégulier. Et puis nous ne sommes pas habitués à dormir à 2’600m d’altitude. Lorsque l’aurore arrive finalement et que nous ouvrons la tente, il fait froid dehors, mais le ciel est bleu, le brouillard s’attardant plus bas dans la vallée. Nous sirotons notre café instantané, serrant la tasse dans nos mains pour les réchauffer et mangeons notre porridge à l’eau, que nous essayons de rendre plus excitant en y ajoutant des mangues séchées. Puis nous levons le camp, prêts pour la deuxième journée.
Au fur et à mesure que nous nous élevons au-dessus du lac où nous avons campé, les vues sur les montagnes environnantes, gorgées de lumière matinale, sont de plus en plus impressionantes. Nous décidons d’aller jusqu’au sommet du Gemsstock, qui n’est pas exactement sur le chemin mais n’est qu’un petit détour. Délestés du poids de nos sacs que nous avons laissé à la jonction, nous gravissons rapidement le chemin raide menant au sommet. Au détour d’un lacet, nous repérons un groupe de bouquetins et nous arrêtons pour admirer leur ascension gracieuse. Nous nous sommes déjà plusieurs fois trouvés au sommet du Gemsstock, mais toujours via son téléphérique, qui est en service uniquement pendant la saison de ski. C’est donc assez particulier de se trouver ici tout seuls, sans les centimètres de neige et les dizaines de skieurs.
Pour être honnête, le reste de la journée est plus difficile. Le temps se détériore au fur et à mesure que nous descendons dans la vallée suivante. Lorsqu’il est temps d’entamer la dernière longue ascension, un épais et humide brouillard nous entoure et ne nous quittera plus pour les prochains 12 kilomètres et 700 mètres de dénivelé qu’il nous faudra monter puis redescendre pour retourner au col du Gotthard. Nevin ne m’a pas surnommé « princesse du soleil » pour rien: mon humeur se détériore avec la météo. La pluie est éparse mais persistante et froide. Nevin essaye de me remonter le moral en essayant quelque chose du genre « c’est quand même mieux d’être ici en montagne que dans un bureau ». Ce qui est vrai, et fonctionne pour quelques minutes, mais même son enthousiasme diminue au fur et à mesure que le froid pénètre sous nos vestes imperméables. Les derniers kilomètres sont les plus difficiles. Après avoir atteint le Lago della Sella nous sous-estimons la distance qui nous sépare encore de la voiture (oui ça nous avait semblé plus court la veille, lorsque nous avions des jambes fraiches et sous le soleil) et ne voulons pas prendre le temps de nous arrêter pour sortir nos gants ou mettre une couche de vêtements supplémentaire. A la fin, le brouillard est tellement épais que nous ne voyons pas à plus de quelques mètres d’où nous nous tenons et le vent souffle en rafales. C’est un soulagement lorsque nous arrivons enfin à la voiture, et il me faut 10 bonnes minutes pour me réchauffer, assise à l’intérieur, le moteur en marche. Pas la peine de préciser que le stand de saucisse repéré la veille est introuvable.
Avec du recul, ces deux jours représentent exactement l’attraction que les montagnes ont sur moi: les hauts et les bas. Les rayons du soleil sur ma peau et l’atmosphère maussade du brouillard. Les moments de pur bonheur et les moments de doute. L’incroyable émotion qui m’envahit avec le sentiment d’être seuls sous le ciel étoilé et l’accablante prise de conscience d’avoir encore des heures à devoir mettre un pied devant l’autre dans le brouillard épais. Mais surtout, la satisfaction d’avoir été jusqu’au bout. Cela semble cliché mais c’est une belle métaphore pour se frayer un chemin à travers la vie. Il y aura des hauts et il y aura des bas, mais rien ne dure. J’apprends donc à serrer les dents et à continuer à avancer dans les moments difficiles. Et par-dessus tout, j’apprends à reconnaître et à ralentir pour apprécier les petits miracles que la vie nous envoie.
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